CSF Magazine n° 118 - Ce qui attend nos nouveaux maires
Ce qui attend nos nouveaux maires
Près d’un maire sur quatre ne s’est pas représenté aux élections de mars 2020. C’est un chiffre qui traduit un vrai désenchantement. Il traduit souvent une lassitude, un découragement devant l’ampleur de la tâche et la faiblesse des moyens. Beaucoup déplorent aussi le manque de respect élémentaire pour leur fonction. Des citoyens qui se comportent en consommateurs, exigeant toujours davantage de leurs élus et répugnant à s’engager pour leur part. Le civisme est une vertu en baisse ! La mort du maire de Signes (Var) cet été, renversé par une camionnette dont le conducteur voulait déverser ses gravats au bord d’une route, illustre une triste réalité.
Les finances perdent l’équilibre
« Dans notre région, s’est exclamé le maire de Cahors, 200 maires ont jeté l’éponge. Il faut se demander pourquoi. Il y a bien sûr les problématiques financières. La taxe d’habitation, c’est fini ! Mais qu’est-ce qui la remplacera ? Et quid des transferts de compétences de l’État sans les ressources afférentes ? » Voilà l’un des premiers sujets de préoccupation : les ressources des communes. Jusqu’alors, la fiscalité locale était décidée par les élus locaux. Le Conseil municipal votait le taux des taxes (habitation, foncier bâti et non bâti, taxe professionnelle…). C’était la marque de la liberté des communes et de la responsabilité des citoyens. Liberté, puisque les élus choisissaient les taux. Responsabilité, car il ne fallait céder ni à la démagogie, en votant des impôts trop faibles pour financer les charges de la commune, ni à la démesure, car le contrôle des citoyens sur des élus trop dépensiers était cruel. Cet équilibre a été mis à bas par les différentes réformes de la fiscalité locale intervenues dans la période récente.
La fiscalité mise à mal
La taxe d’habitation ? Elle représentait 36¯% des ressources des communes. Elle est en voie de disparition, mais l’État a promis de la compenser « à l’euro près ». Un mécanisme complexe : les communes percevront la part de taxe sur le foncier bâti qui allait au département ; et en retour le département recevra une fraction de la TVA. Les élus locaux sont inquiets devant la complexité du mécanisme et ne sont pas vraiment rassurés quand on leur parle de « remboursement à l’euro près ». D’autant que la base de tous ces calculs serait non pas celle d’aujourd’hui, mais celle de 2017. Surtout, les élus cesseront de voter eux mêmes le taux de la taxe d’habitation. La fin de cette liberté locale, issue de la Révolution française, affaiblit la démocratie locale au profit de la technostructure. Nos nouveaux élus verront l’essentiel de leurs ressources fixées en dehors d’eux. Ils ne disposeront plus que de marges de manoeuvre réduites pour gérer leur commune. Ces nouvelles mesures, adoptées définitivement le 19 décembre dernier, entreront en vigueur en 2021.
Irremplaçables !
Autre important changement dans le paysage des collectivités territoriales : l’intercommunalité. La France compte aujourd’hui près de 35 000 communes. C’est un atout précieux pour la démocratie. Des élus locaux, pour l’immense majorité bénévoles, prennent en charge leur commune. Il n’y a pas plus grande proximité que celle du maire, de ses adjoints, des conseillers municipaux. Dans les plus petites communes de France, chaque citoyen choisit « ses » élus. Il peut s’adresser à eux. Et le dévouement des élus et des maires des communes rurales est exemplaire. Là, pas de service technique, pas d’agents municipaux à temps complet : ce sont les élus qu’on réveille la nuit parce que des vaches ont cassé la barrière et divaguent sur la route, c’est le maire que l’on appelle pour trancher un litige entre administrés… Et, en guise de remerciement, il passe des heures à remplir des dossiers, renseigner des questionnaires, tenter de joindre au téléphone des responsables d’EDF ou d’Orange… lesquels les tiennent souvent pour quantité négligeable. Dans les villes, les moyens sont plus importants, et le maire peut compter sur des agents de la fonction publique territoriale compétents et dévoués. Chacun a donc compris l’immense avantage que constitue ce réseau d’élus locaux, maillant tout le territoire, élus démocratiquement et qui ne coutent presque rien aux budgets…
Coopérer et non disparaître
Mais ces communes sont souvent de petite taille et n’ont pas les moyens de faire face seules à leurs obligations : réfection des routes, écoles primaires, entretien du patrimoine, distribution et assainissement de l’eau. Comment dès lors concilier le maintien de ces petites communes, de ces Conseils municipaux, e t la mise en commun de moyens pour assumer leurs missions¯? Cette question a donné lieu à la création des intercommunalités. Les communes demeurent, et avec elles ce cadre irremplaçable de la démocratie locale, mais elles se regroupent pour être plus efficaces. Nos nouveaux élus mesurent parfaitement ce changement : désormais l’intercommunalité – communauté de communes, communauté d’agglomération, communauté urbaine, métropole… – est leur nouvel horizon. De vastes compétences sont à présent exercées au niveau de ces intercommunalités. Du point de vue économique, et du point de vue de l’efficacité, on peut s’en réjouir. Mais, le risque de dévitaliser les communes commence à se concrétiser. Ainsi, la loi de 2015 impose un minimum de 15 000 habitants pour chaque communauté de communes. Problème ! Pour atteindre ce chiffre de 15 000, dans certaines régions rurales, il faut un territoire très vaste. Ainsi, la communauté d’agglomération du pays de Dreux (Eure-et-Loir), composée de 78 municipalités et comptant 111 500 habitants, recouvre près de 1 000 km2. Soit 50 kilomètres du nord au sud et 40 d’est en ouest. Aux deux tiers formée de communes de moins de 500 habitants, elle concerne, au total, 1 160 conseillers municipaux ! Quelle unité ? Quelle solidarité ? Le conseil de communauté est un petit parlement où les maires sont bien seuls. Dans la Creuse, l’intercommunalité Ouest-Creuse couvrait plus de 1000 km2 ; 55 km séparaient ses extrémités… autant dire qu’aucune solidarité de fait n’existait. D’ailleurs le tribunal administratif a fait droit à la demande des élus et au 1er janvier cette « communauté » a été fractionnée. On peut ainsi comprendre la lassitude des maires : élus pour gérer leur commune, ils se retrouvent seuls parmi 150 conseillers communautaires… et n’ont plus guère voie au chapitre. L’intercommunalité sans le bon sens peut aboutir à démobiliser la démocratie locale. À l’inverse, dans les zones urbaines, l’intercommunalité montre son intérêt : les questions de logement, d’urbanisme, de déplacements gagnent évidemment à être traitées en commun.