CSF Magazine n° 106

CSF Magazine n° 106 - CES MÉDECINS IMAGINAIRES QUI VEULENT SOIGNER LA FRANCE

CSF-MAG-106-433px

Pour recevoir le CSF MAG, il vous suffit de rejoindre l'association CSF.
Pour adhérer au CSF et profiter de tous les services et avantages sélectionnés pour vous, il suffit d’acquitter un droit d’entrée unique et une cotisation annuelle. Et pour plus d’avantages, optez pour le service C’Plus.

En savoir plus
✔ Souscrire

Une campagne électorale présidentielle est l’occasion de dresser un bilan du pays, de cerner ses difficultés, de proposer des solutions. Beaucoup de candidats se penchent alors au chevet de la France malade pour prescrire leur remède.



En 1673, Molière écrivait Le malade imaginaire, pièce de théâtre pleine d’esprit où il dénonçait l’arrogance de charlatans ignorants mais toujours prompts à édicter leur pronostic erroné. Y aurait-il un rapport avec notre actualité ? En écoutant nos médecins de Molière nouvelle formule, on est tenté de le croire. Avec un aplomb implacable, nos thérapeutes nous assènent l’explication simple, la racine de toutes nos difficultés… Mais curieusement le diagnostic ne cesse de changer au fil des années ! Aujourd’hui on nous explique savamment que, si la France va mal, c’est parce qu’elle compte trop de fonctionnaires. Hier c’était parce qu’il fallait davantage d’Europe. Avant-hier, il fallait recueillir « les dividendes de la paix » et raboter les dépenses de sécurité. Pour d’autres encore, l’immigré est la source de tous nos malheurs. Au moment où les citoyens réfléchissent à leur choix pour la prochaine élection présidentielle, nous vous proposons ce petit voyage au pays des remèdes miracle.

Examinons donc ces jugements péremptoires : trop de fonctionnaires, pas assez d’Europe, recueillir les dividendes de la paix, travailler plus, ou travailler moins, réformer l’École… Un survol qui fournit un recul utile pour que chacun forme son jugement.

Les fonctionnaires ! Voilà d’où vient tout le mal. Il faut en supprimer 200 000 selon les uns, 300 000 voire 500 000 selon les autres. Supprimer leur droit de grève, renchérit une autre… Cette escalade verbale s’explique : comment équilibrer les finances publiques, quand on ne maîtrise plus sa monnaie, ni sa politique monétaire, quand on ne maîtrise plus le budget de l’État placé sous la tutelle de Bruxelles par le Traité TSCG (pacte budgétaire européen entré en vigueur au 1er janvier 2013) ? Il n’existe plus beaucoup de « variables d’ajustement ». Reste alors ce que les économistes nomment « la dévaluation interne », c’est-à-dire la baisse de la masse salariale, la modération des revenus, la suppression d’emplois publics. Voilà pourquoi nos Diafoirus modernes s’acharnent sur le nombre de fonctionnaires : c’est un des rares outil qu’ils peuvent encore manier. Mais est-ce réaliste ? Est-ce conforme aux intérêts du pays? La France fait-elle exception en ce domaine?

Essayons d’y voir clair. Y a-t-il trop de fonctionnaires dans notre pays ?

Pour répondre à cette question, partons en voyage chez nos voisins. En Europe, le pays qui compte le plus de fonctionnaires n’est pas la France, mais le Danemark ! L’emploi public y représente un tiers de l’emploi total (contre 19% en France). Est-ce l’enfer ? Le chômage y dépasse à peine 6 % (contre 10 % en France), la croissance économique prévue est de 1,9 % en 2017 (1,3 % en France). Le PIB par habitant figure parmi les plus élevés au monde.
Poussons notre voyage vers les pays scandinaves. En Finlande ou en Norvège, on compte respectivement 110 et 160 fonctionnaires pour 1 000 habitants (contre 80 en France). Là encore les habitants n’ont pas l’air de trop en souffrir ; le chômage y est plus faible qu’en France. En Norvège, il n’atteint pas même les 5 %. Mais il est vrai que les Norvégiens ne connaissent pas le bonheur d’être dans la zone euro… Et nos médecins péremptoires, loin de s’interroger sur le fonctionnement de cette zone euro, trouvent plus commode de désigner les fonctionnaires comme sources de nos diffi cultés économiques.

D’ailleurs, il est simple de situer la France parmi les autres membres de l’Union européenne, en matière d’emploi public. Avec 80 fonctionnaires pour 1 000 habitants, nous nous situons un peu au-dessus de la médiane européenne où les écarts vont de 10 à 140. Rien n’anormal ni d’excessif, donc. La bonne moyenne en somme, surtout si l’on considère que notre pays est vaste et davantage peuplé que la plupart de nos voisins. Les pays qui comptent peu de fonctionnaires sont-ils les plus heureux ? Qui veut prendre son billet pour la Roumanie, par exemple, avec son SMIC à 236 euros, sa corruption généralisée, ses services publics en ruine ? Croit-on que le Royaume-Uni, avec ses 40 fonctionnaires pour 1 000 habitants est un paradis ? Listes d’attente interminables à l’hôpital, démantèlement des services publics du transport, du logement, etc. Voyez le film de Ken Loach Moi, Daniel Blake, Palme d’or au festival de Cannes 2016 ! Les réductions drastiques de budget, les suppressions massives d’emplois publics ont aggravé la crise. Eau, transport, énergie, poste : les privatisations massives ont abouti à des hausses de prix fortes pour les usagers. L’Espagne, avec ses 22 % de chômeurs, l’Italie avec ses 13 % peuvent se frotter les mains : ils ont la joie de compter un peu moins de fonctionnaires que nous… Quel succès ! Les adeptes des remèdes miracle proclament que dans la fonction publique territoriale française, le nombre d’emplois a explosé. Mais c’est oublier que la décentralisation a transféré de l’État vers les régions, les départements, les communes, des emplois qui hier relevaient de la fonction publique nationale et ont rejoint aujourd’hui la fonction publique territoriale. En deux ans par exemple, un rapport sénatorial évalue à 117 000 le nombre d’emplois transférés vers les collectivités territoriales. Dans le même temps, les effectifs ont baissé dans les ministères.

Au demeurant, où songe-t-on à supprimer des emplois de fonctionnaires ? À l’hôpital où les services sont surchargés, les personnels soumis à un rythme eff réné, où une infirmière doit souvent surveiller 20 patients avec des gardes de nuit de 10 heures, où on doit attendre des heures aux services des urgences ? À l’École, en augmentant le nombre d’élèves par classe ? En aggravant le non-remplacement des maîtres malades ? Déjà l’école publique enregistre des pertes d’eff ectifs tandis que l’école privée progresse. N’est-ce pas un signal préoccupant ? Bien sûr la liberté scolaire est précieuse, mais l‘idéal d’instruire ensemble tous les enfants de la République doit-il péricliter ? Faut-il encore accélérer sa dégradation ? Au moment où la France rencontre des diffi cultés d’intégration pour beaucoup d’enfants issus de l’imcontraire être affi rmée avec force ? Quel meilleur creuset, pour garantir à la fois la formation et la réussite des enfants en construisant la cohésion nationale dont nous avons besoin ? Ou bien encore, veut-on contraindre les collectivités territoriales à supprimer des postes ? Mais ce sont les services les plus proches des habitants qui seraient alors touchés : crèches, voirie, bibliothèques, activités sportives et culturelles, services de solidarité de proximité… Celles et ceux qui exigent la suppression de centaines de milliers de postes de fonctionnaires se gardent bien d’évoquer les conséquences concrètes de leurs choix. Ils sont éblouis par le modèle de société libérale à l’américaine où, certes, les riches et les couches moyennes paient moins d’impôts, mais où les gens modestes ne peuvent accéder à des services de qualité. N’oublions pas, par exemple, que les études supérieures aux États-Unis coûtent 14 000 euros par an et par étudiant aux familles – et jusqu’à 80 000 dans les établissements prestigieux –. N’oublions pas que l’accès aux bons hôpitaux y est réservé aux patients fortunés et bien assurés, les autres devant se contenter des dispensaires. C’est qu’avec le service public, est en cause une certaine manière de vivre, un esprit de civilisation. Avant de les détruire, il serait sage d’avertir les citoyens des conséquences inévitables.